Le Mirage IIICJ au combat

[note : Israël est réputé non seulement pour la supériorité de ses pilotes mais aussi pour la quasi paranoïa avec laquelle il traite les questions de sécurité. Le visage d'un pilote actif ne peut pas être filmé ou photographié, le détails des opérations militaires jamais commenté, les insignes d'escadrille et les numéro de série des appareils sont soit effacés des photographies, soient complètement farfelus. Bref, il faut toujours garder ce détail en tête lorsque l'on tente de discuter du Mirage IIICJ au combat]

  Mirage contre Mig ... premières rencontres (1962-mai 1967)

Il n'est pas surprenant que ce fut avec Israël que le Mirage IIIC connu ses premières heures de gloire au combat. Le 20 août 1963, deux Mirages IIICJ interceptent une formation de 8 Mig 17 syriens, en pénétration à plus de 20,000 pieds d'altitude. Prenant une position 6,500 pieds plus haut, les deux Mirage IIICJ plongent sur les appareils arabes et en abattent deux à coup de canons de 30 mm.

Le 14 novembre 1964 un Mig 21 aura le douteux honneur d'être le premier d'une longue lignée à tomber face aux canons de deux Mirage IIICJ.    

      La Guerre des Six-Jours (juin 1967)

Depuis 1956, Israël a pris l'habitude de surprendre ses adversaires. Le 5 juin au matin, l’aviation israélienne, avec 192 avions d’origine française attaque les bases aériennes de l'Égypte. En l’espace de trois heures, de 7h15 à 10h15, l’armée de l’air égyptienne était entièrement neutralisée: sur 340 avions dont elle disposait, 286 avaient été détruits. Un peu plus tard, les terrains d’aviation de la Jordanie et de la Syrie étaient bombardés à leur tour et 88 autres avions détruits. L’objectif essentiel, la maîtrise de l’espace aérien, était ainsi atteint. Douze Mirage IIICJ seulement (4 dans les airs, et 8 au sol) sont laissés en arrière pour garder l'espace aérien israélien. Tous les autres emportent deux bombes de 250 kilos, des réservoirs de carburant et leurs canons dans une rotation infernale permettant de ravitailler en carburant et en munitions les avions en sept minutes plutôt que les vingt habituelles. Un nombre record de 12 sorties par jour fut effectué par chaque appareil ce jour.

Une des conséquences de la période de tension (25 mai au 4 juin) qui précédera la guerre proprement dite, sera l'embargo imposé le 3 juin par De Gaulle à tous les belligérants potentiels. Bien entendu, comme dans les faits seul Israël bénéficiait de matériels militaires français, cela signifiait la perte de l'approvisionnement en pièces détachées pour les avions (une des raisons pour le développement de l'industrie aérospatiale en Israël), mais aussi la césure traditionnelle entre l'industrie française et son meilleur client... Désormais les États-Unis s'engouffrent dans le vide béant laissé par De Gaulle. Les A4-Skyhawk, les F-4E Phantom (et plus tard les F-15, les F-16, les Cobra, les Apache etc.) prendront le haut du pavé. Il est vrai que le soutien technique américain imposera un stress sur l'industrie d'exportation israélienne. Plusieurs ventes de Kfir seront ratées en raison du droit de veto US sur l'exportation de la technologie américaine (les moteurs).

Le plus grave c'est la perte des Mirage 5J, alors en test depuis mai 1967 chez Dassault. Les pilotes israëliens poursuivront leur participation, mais le raid sur Beyrouth en 1968 terminera définitivement l'alliance entre les deux pays. Une ultime tentative du Mossad pour enlever les Mirage 5J échouera. (1) Les tests se poursuivront en France et, après normalisation, les Mirage prendront l'appellation Mirage 5F (F pour France). Les 50 exemplaires construits et payés par Israël seront entreposés à Chateaudun jusqu'au règlement de 1971. Passé quoi il seront rachetés par l'Armée de l'air. Israël produira sa propre version du Mirage 5J, sous l'appellation Nesher ("Aigle") avec un équipement électronique conçu par Elta.

  iconographie : Mig 21 détruits au sol; Mirage IIIC abattu en vol par Flt. Lt. Saif-ul-Azam de l'armée de l'air pakistanaise, servant sur Hunter au sein de l'armée de l'air Jordanienne.

Quelques défaites ...

Six Mirage sont reconnus officiellement par Israël comme ayant été abattus. Comme toujours difficile de savoir le vrai chiffre. Les Pakistanais, servant au sein des forces Jordaniennes, revendiquent une dizaine d'appareils israëliens dont des Mirage. À coup sûr au moins 1 Mirage IIIC a été abattu par le Flt. Lt. Saif-ul-Azam de l'armée de l'air pakistanaise, servant sur Hunter au sein de l'armée de l'air Jordanienne.    

    L'affaire du "USS Liberty"

Le 8 juin 1967, l'armée de l'air israélienne attaque en deux vagues le navire espion américain USS Liberty, croisant au large des côtes. Selon la version israélienne, le navire aurait été confondu par les services de renseignements pour une bétaillère égyptienne. Un premier vol de reconnaissance n'a pas provoqué de panique à bord, mais les attaques qui ont suivis, par des Mystère IVA et des Mirage IIICJ, en conjonction avec la marine israélienne, au canon, à la roquette et au napalm, provoqueront la mort de 34 marins et blesseront 171 autres sur un équipage de 295.

821 impacts d'obus de 30 mm seront dénombrés, ainsi qu'un trou de 40 pieds provoqué par une torpille à bâbord. Le vaisseau regagnera La Vallette, à Malte, quelques jours plus tard pour des réparations d'urgence.

Le gouvernement israélien présentera ses excuses et dédommagera les familles des victimes. Cependant, aujourd'hui encore, plus d'un doute de l'honnêteté de l'état Hébreu. On croit que la présence américaine représentait une menace pour les activités israéliennes qui décidèrent alors de faire taire le "mouchard" sans égard pour son pavillon et la puissance de son propriétaire. C'est l'un des épisodes les plus tragiques auquel les Mirage IIICJ seront mêlés.

  La Guerre d'Usure ( juillet 1967- septembre 1973)

Au cours de cette période d'accalmie ("paix" est un mot qui n'a pas grand sens au Moyen-Orient), Israël doit faire face à plusieurs pays arabes résolus à se venger de l'humiliante défaite de 1967. L'Union Soviétique prend de plus en plus d'importance comme fournisseur d'armement auprès des Égyptiens et des Syriens, tandis que le Liban, la Jordanie et l'Irak continuent l'utilisation d'appareils plus anciens tels le célèbre Hawker Hunter.

L'URSS ne se contente pas d'installer un réseau antiaérien comme jamais on n'avait vu, mais envoie également instructeurs et matériels pour former l'aviation égyptienne. Le 30 juillet 1970, un groupe de 24 Mig 21, pilotés par des instructeurs soviétiques décollent afin de relever un défi lancé par leur collègues égyptiens, fatigués d'être moqués par les russes (il faut savoir que les instructeurs russes riaient des "raclées" successives subies par les pilotes égyptiens aux mains des aviateurs israëliens). Peu de temps après un combat s'engage entre les 24 Mig et un groupe de 8 Mirage IIICJ et 4 F-4E Phantom israëliens. Non seulement les russes ne marquèrent-ils aucune victoire, mais il laissèrent cinq des leurs dont trois abattus par des Mirage IIICJ (pilotes israëliens : Asher Snir, Avraham Salmon et Iftlach Spector, ce dernier en collaboration avec un autre Mirage). Deux pilotes russes seront tués.

Quelques défaites ...

1970 2 Mirage IIICJ abattus par l'égyptien Ali Wagedy

  À mettre au rang des réalisations israéliennes au cours de cette période :

L'état Hébreu atteindra plusieurs de ses objectifs au cours de cette période mouvementée, entre autres :

þ L'acquisition des plans manquants du moteur Atar-9C tel que fabriqué en Suisse par Sulzer A.G. (l'affaire Fraunknecht).

þ Le règlement d'une entente de remboursement avec la France pour les Mirage 5J non livrés en 1971 (incluant le transfert "en douce" de la technologie et de deux cellules de Mirage).

þ Des tests de motorisation avec le réacteur américain J-79 sur le Mirage IIIBJ (#788) qui prendra le nom Ra'am Mem ("tonnerre") mais qui sera surtout connu sous le nom Technolog, puis plus tard de Kfir TC. Premier vol en septembre 1969 avec l'Atar 9-C, en septembre 1970 avec le J-79..

þ Des tests de motorisation du J-79 sur Nesher (# 588) qui sera connu sous le nom de Ra'am Aleph (nom de code du projet d'étude). Ces tests, conjointement à ceux du Technolog, aboutiront à la production des Kfir. Premier vol en septembre 1973.

þ L'introduction en mai 1971 du Nesher ("Aigle") qui n'est qu'une copie Israélienne du Mirage 5J avec des équipements électroniques Elta/Elbit.

þ La remotorisation et la modernisation en 1971 des IIICJ avec moteur Atar 9C3 (en fait un programme combinant le réusinage des cellules au niveau "zéro heure d'usure" plus l'introduction du Atar-9C3 avec les modifications nécessaires).

þ Réalisation, parallèlement au Nesher (vu comme un "bouche-trou") du Kfir ("Lionceau" à ne pas confondre avec "Jeune Lion" qui se traduit par Lavi en hébreu et sera le nom du développement du F-16 "Delta" par Israël). Le Kfir sera officiellement présenté au public en 1975.

þ Le remplacement de la France comme fournisseur par une combinaison "fournisseurs domestiques" et "fournisseurs américains".

þ Le développement de l'Israeli connexion avec l'Afrique du Sud.

    La Guerre du Kippour (octobre 1973)  

Les arabes rendent la politesse aux israëliens. Le 6 octobre, au moment où Israël fête la "fête du pardon", mieux connue sous le nom de Yom Kippour, les armées arabes (Libye, Égypte, Syrie, Irak) se jettent sur toutes les frontières d'Israël. L'aviation arabe est protégée par une ombrelle de DCA basée sur un réseau de missiles sol-air et de canons guidés par radar. Par choix les aviations arabes sont retenues en arrière, tandis qu'au cours des premiers jours de la guerre la glorieuse aviation israélienne vient littéralement s'empaler sur les défenses arabes savamment conçues et admirablement dirigées. Les Mirage et les F4E se battent d'abord pour regagner la supériorité aérienne. Les Mirage ne sont plus utilisés pour l'attaque au sol. Ils reviennent à leur rôle initial et sont équipés de missiles Shafrir et Sidewinder. Les nouveaux Nesher combattent pour la première fois. Les Mirage et les Nesher sont au nombre de 45 chaque et emportent plus de 110 victoires pour la perte de 12 des leurs (officiellement du moins). Pour la première fois également, des Mirages se battent contre des Mirages. La Libye, faisant fi de l'interdiction d'exporter la technologie française, envoie plusieurs dizaines de Mirage 5D sur le territoire égyptien. Le 21 octobre, alors qu'ils s'apprêtaient à bombarder une base israélienne, un groupe de Mirage 5D Libyen sont attaqués par des Neshers. Quatre sont abattus en combat.

Quelques victoires ...

(Mirage IIICJ sauf où indiqué Nesher)

C'est au cours de cette guerre que deux Mirage IIICJ atteignent le record de 13 victoires air-air (les "Bar Mitzvah" Mirage : littéralement " Mirage de la victoire" ). Parmi les quelques 110 victoires attribuées au Mirage IIICJ, une bonne part revient en fait au Nesher. Il est très difficile de dresser une liste exhaustive et détaillée, surtout dans la seconde moitié du conflit : on avait, semble t'il, mieux à faire que de distinguer "Mirage" et "Nesher" ! Au cours de ce conflit, certains combats aériens atteindront des dimensions épiques. Ainsi un Mirage IIICJ, à cours de munitions, abattra son adversaire en lui lâchant ses bidons d'ailes lors d'une manoeuvre particulièrement "serrée"!

Quelques défaites ..

Douze Mirage IIICJ / Nesher ont été reconnus abattus par Israël, dont 4 abattus par l'as Égyptien Ali Wagedy (qui en cumule 6 avec les 2 qu'il avait abattus en 1970). 1 Mirage IIICJ a aussi abattu par un Pakistanais, le Flight Lt. Sattar Alvi, qui pilotait un Mig-21 de l'aviation syrienne.

Beaucoup d'appareils israëliens [5] seront abattus par la DCA arabe, et quelques uns par l'aviation (un F-4E Phantom sera même abattu par erreur par un Nesher ! ). Les exploits et l'héroïsme des pilotes israëliens ont malheureusement éclipsé les quelques victoires arabes.

  [iconographies : Nesher & Mirage IIICJ remotorisés]

Notes :

1. Les pilotes israëliens s'entraînaient régulièrement en Corse et en Sardaigne pour tester le Mirage 5J dans des conditions proches du Moyen-Orient. Le Mossad avait préparé un plan d'évasion qui devait fonctionner ainsi : les pilotes demanderaient à poursuivre les tests en Corse et en Sardaigne, et pour cela demanderaient l'autorisation. En théorie, les autorités françaises qui étaient en négociation avec Israël pour régler le différent, étaient d'accord. Cependant la DGSE fut alarmée par le fait que, pour la première fois, les pilotes israëliens demandaient l'installation des réservoirs de 1700 litres... Le plan échoua donc. Le Mossad fut plus chanceux avec les deux vedettes rapides en construction en Bretagne. Un coup-de-main en prend le contrôle et les deux vaisseaux s'échappent. Des sources citent un nombre de 48 Mirage 5J en attente de livraison alors que 2 auraient déjà été livrés. D'autres disent que ces deux Mirages sont en fait une livraison "discrète" en kit par Dassault, avec l'aval du gouvernement français.